Artiste en vedette : Laurena Finéus

La Mort de Yannick (2019), diptyque en peinture à l’acrylique et à l’huile sur canvas de bois. Collection de la Ville d’Ottawa. Photo gracieuseté de l’artiste.

La Mort de Yannick (2019), diptyque en peinture à l’acrylique et à l’huile sur canvas de bois. Collection de la Ville d’Ottawa. Photo gracieuseté de l’artiste.

Par Elly Laberge

Chaque mois (ou presque), l'équipe du Pressoir tente de vous faire découvrir des créateurs d’ici en faisant la promotion d'une ou d’un artiste de la région qui mérite d'être mis en lumière. Cette fois-ci, on vous propose de rencontrer Laurena Finéus.

S’il y a une chose positive que l’année 2020 nous a apportée, c’est sans doute le mouvement Black Lives Matter qui a permis de faire remonter à la surface les inégalités systémiques qui existent toujours au sein de notre monde, dont le racisme, un fléau qui est encore malheureusement bien présent. Pourquoi est-ce positif? Car, c’est en grande partie grâce à ce constat que l’on a sérieusement commencé à s’attaquer à ce problème qui touche toutes les sphères de notre société, dont les arts. En effet, pendant beaucoup trop longtemps, le milieu artistique du Canada a favorisé la création et la présentation du travail d’artistes blancs au détriment de l’art noir. Un nombre flagrant de galeries, de musées et de centres d’artistes ont longtemps boudé les artistes noir.e.s et ont, par conséquent, présentés des expositions et des programmations les mettant de côté. D’ailleurs, un exercice de recherches réalisé en 2020 par l’artiste torontois Ibrahim Abusitta a révélé que la majorité des galeries d’art commerciales de la région de Toronto ne représentaient pas ou très peu d’artistes noir.e.s. Ce même exercice a ensuite été effectué à Ottawa, pour se rendre aux mêmes conclusions; un bilan qui n’est pas surprenant, mais qui aura heureusement sonné l’alarme auprès des commissaires, des collectionneurs et des propriétaires de galeries d’art. Résultat : les galeries de la région de la capitale nationale, et d’ailleurs au pays, font finalement plus de place aux artistes noir.e.s.

C’est justement le cas de la Ville d’Ottawa, qui a récemment fait l’acquisition d’œuvres de l’artiste locale Laurena Finéus dans le cadre de son programme d’achats directs. Certaines œuvres de Finéus se trouvent aussi maintenant à la Galerie Annexe de la Galerie d’art d’Ottawa. Sa magnifique toile Zwazo manjé Korosol a d’ailleurs fait partie de la vente aux enchères 2020 de la Galerie d’art d’Ottawa et s’est vendue à un prix fort intéressant après avoir reçu beaucoup d’intérêt.    

En effet, malgré le lot de bouleversements incroyables que 2020 nous a apporté, ce fut vraisemblablement une excellente année pour Laurena Finéus. Non seulement la jeune artiste a obtenu son baccalauréat en arts visuels de l’Université d’Ottawa, mais elle a aussi participé à deux résidences artistiques et à huit expositions, tout en récoltant des prix au passage. Et 2021 s’annonce tout aussi prometteuse pour elle. C’est peu dire que cette jeune artiste en début de carrière prend réellement son envol.

Portait de Laurena Finéus dans les studios de 20/20, à Ottawa. Photo : François Mittins. Gracieuseté de l’artiste.

Portait de Laurena Finéus dans les studios de 20/20, à Ottawa. Photo : François Mittins. Gracieuseté de l’artiste.

Installée dans la capitale nationale du Canada, Laurena Finéus est une artiste en arts visuels haïtiano-canadienne qui se spécialise en peinture. Elle emploie principalement l’acrylique, l’huile et le collage pour réaliser ses créations. Il va sans dire que son identité en tant que femme noire et son vécu personnel contribuent grandement à guider sa pratique et son expression artistique. Dans son travail, Finéus se penche d’abord et avant tout sur des représentations d’Haïti Chérie et de ses archives, ainsi que sur le tiers espace et le panafricanisme. Ses toiles empreintes de textures riches et de couleurs chaleureuses illustrent des moments de l’histoire complexe et fragmentée des Caraïbes tout en présentant la pluralité de l’identité antillaise. Ces éléments de complexité et de fragmentation se traduisent aussi dans le choix des diptyques et des triptyques qu’elle préfère parfois pour effectuer ses compositions.

En se penchant sur les œuvres de l’artiste, on constate que celles-ci représentent tantôt des tableaux banals du quotidien, comme une fête familiale ou une scène de la rue, tantôt des rituels et des cérémonies religieuses de grande importance comme le carnaval, le baptême, la première communion et le mariage. Dans d’autres cas, Finéus pose un regard critique sur l’histoire et la transition démocratique d’Haïti en produisant des œuvres à caractère plus politique comme If I Was President (2019) et Le 6 Février 1987 (2019). En effet, Finéus puise visiblement dans le passé et le folklore traditionnel antillais pour brosser un portrait honnête et sans prétention d’Haïti, contribuant ainsi à immortaliser des aspects culturels propres à cette ancienne colonie française.  

Papa Machete (2019),  peinture à l’acrylique et à l’huile sur canvas de bois. Collection de la Ville d’Ottawa. Photo gracieuseté de l’artiste.

Papa Machete (2019), peinture à l’acrylique et à l’huile sur canvas de bois. Collection de la Ville d’Ottawa. Photo gracieuseté de l’artiste.

Les titres de ses œuvres sont tout aussi évoquant : ils font tantôt référence à la révolution haïtienne tantôt à l’indépendance de 1804 et rappellent aussi des personnages de l’histoire de la Perle des Antilles comme Papa Machete, ce légendaire professeur enseignant l’art martial du tire machèt. Parsemés de créoles, ces titres contribuent à l’imaginaire permettant au public de mieux saisir le peuple et les mœurs haïtiens ainsi que les scènes évocatrices peintes par l’artiste. Voilà des œuvres qui célèbrent la vie, tout en rendant hommage aux traditions et au passage du temps.

Ces jours-ci, Finéus consacre une grande partie de son temps à la création artistique. Elle s’affaire notamment à la préparation de Déchoukaj, une exposition solo rendant hommage aux femmes haïtiennes et au rôle central qu’elles ont joué dans la construction de l’identité caribéenne. L’exposition présentera des œuvres à grande échelle accompagnées de citations littéraires d’écrivaines haïtiennes comme Edwidge Danticat, Yanick Lahens et Jan. J. Dominique. Cette exposition, prévue pour septembre 2021 à la Ottawa School of Art, sera sans aucun doute un incontournable pour les amateur.trice.s d’art de la région. Dire qu’il en aura fallu de l’activisme et un éveil massif des consciences pour qu’on puisse profiter d’une telle exposition à Ottawa-Gatineau. Vivement l’inclusion et la représentation des artistes noir.e.s. dans l’écosystème artistique! Car, c’est non seulement rafraîchissant, mais c’est aussi inspirant et provocant d’être confronté à de nouvelles idées. Et comme le dit si bien le proverbe créole Apré lapli, sé botan, du moins on l’espère.

Pour en savoir plus sur Laurena Finéus et son travail visitez son site web. Pour la suivre sur Instagram, c’est par ici.

Le Pressoir