Manger au féminin : le Café Mulligan

Par Scott Simpson

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On va se dire les vraies affaires : les cuisines de restaurants sont très souvent un “man’s world.” Il s’agit de feuilleter la liste des 100 meilleurs chefs au monde pour constater le flagrant manque de femmes considérées : 5. Oui oui, seulement 5. Sur 26 des chefs présentés dans le cadre de l’émission Chef’s Table sur Netflix, on y trouve que 7 épisodes consacrées à des femmes. Le ratio est sensiblement le même lorsqu’on commence à parcourir les différents articles et palmarès des “meilleurs chefs au __”. C’est un peu pathétique. 

Pourtant, le stéréotype se maintient : les femmes dans la cuisine, les hommes au boulot. Mais d’où vient cette dichotomie ? Pourquoi considérons-nous la cuisine domestique comme étant le domaine des femmes, mais celle des restaurants comme le domaine des hommes ? Je dois avouer que c’est une question que je lance plutôt aux hommes de l’industrie. Ce sont eux qui peuvent aider à changer le discours, à assurer une parité dans leur cuisine, à amplifier les voix des femmes dans l’industrie. 

C’est pour cette raison qu’au lieu de parler de sexisme dans l’industrie de la restauration, un fardeau trop souvent porté par les femmes uniquement, je m’intéresse au lieu à l’ambition qui nourrit certaines des meilleures cuisines à Gatineau-Ottawa. C’est à partir de cette idée que j’ai décidé de lancer la série Manger au féminin, une série de profils d’entreprises culinaires de la région opérées par des femmes. 

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Mon premier commerce est un très proche de mon coeur. Il y a maintenant plus de 10 ans, le Moca Loca ouvrait une succursale à Aylmer dans l’édifice patrimonial Glasnevin Hall. En 2004 à Aylmer, disons qu’il n’avait pas beaucoup de commerces comme le Moca Loca. Je voulais absolument y travailler, et ça s’adonne que quelques mois après l’ouverture, me voilà leur nouvel employé. Ouverte par Isabelle Bénard et Lyne Grignon, cette succursale du Moca Loca était quand même particulière. Elles s'approvisionnent de produits majoritairement locaux, rarissime dans le temps. À ce jour, ça reste toujours une de mes meilleures expériences sur le marché du travail.

Après 10 ans, elles ouvrent leur propre commerce, le Café Mulligan. Cette fois-ci, c'est un café complètement à leur image et à leur façon. C'est dans la petite cour du restaurant Café My House qu'on se rejoint pour se délecter d'un repas 5 services qui marie gastronomie moléculaire et cuisine végétalienne. Je dois avouer que j'oublie complètement de poser mes questions préparées, trop préoccupé par le repas incroyable et les souvenirs qu'on partage. Et donc je me rends à Aylmer le lendemain matin pour goûter aux nouveautés véganes dont Lyne et Isa me parlent et observer le roulement de cette entreprise maintenant bien incrustée à Aylmer.

Lorsqu'on discute des étapes qui ont été entreprises pour se rendre jusqu'ici, Isabelle me fait part de ses deux souhaits très simples lors des débuts du Moca Loca. Le premier: elle espérait que le café devienne un endroit où tous et toutes se sentent à leur place. En ce beau samedi matin ensoleillé, j'observe deux jeunes familles qui s'amusent dans les installations prévues à cet effet, pendant qu'un trio de jeunes filles partage des viennoiseries, et un homme s'acharne à la transcription musicale sur la terrasse. On peut se dire que c'est mission accomplie. C'est beau à voir.

Son deuxième souhait: que quelqu'un y écrive un livre. Autre mission accomplie, car à date l'écrivaine québécoise Michèle Gavazzi compte maintenant une quinzaine de livres écrits aux tables du Café Mulligan. Je me souviens justement des soirées à observer cette dame tranquille, discrète, assise dans le coin avec son calepin à la main. Autre coup du sort : Michèle est maintenant la propriétaire de la maison Glasnevin Hall, et on peut toujours la trouver bien installée, concoctant sa prochaine aventure fantaisiste.

On se demande souvent s'il y a une formule magique au succès d'une entreprise. Eh oui, en effet, il y en a une. C'est d'être authentique, à l'écoute de ses clients, mais surtout de son propre coeur, et de travailler avec passion et humilité. C'est donc sans surprise que, même après 14 années, le Café Mulligan est toujours aussi bien aimé et fréquenté. Les deux femmes qui m'ont tant inspiré quand j'avais 18 ans sont maintenant d'autant plus inspirantes, chaleureuses, et humbles. 


C'est où ? 149 rue Principale, secteur Aylmer

http://www.cafemulligan.com/