Poèmes de la Résistance, les cris du cœur de la francophonie ontarienne
Par Emmanuelle Gingras
15 novembre 2018. Le premier ministre conservateur de l’Ontario annonce la fin du projet de création de l’Université de l’Ontario français, en plus de transférer les responsabilités du commissaire aux services en français au bureau de l’ombudsman. En réaction à ces bains de sang pour la francophonie ontarienne, un collectif d’auteur.trices se sont réunis pour résister à l’autorité, avec la seule arme qui leur restait : les mots.
Cela a pris quatre ans avant que le recueil Poèmes de la résistance, publié chez Prise de Parole, ne fraie son chemin jusqu’à la scène. Les 21, 22, 23 et 25 juin à 19 h 30 et le 24 juin à 20 h 30, le Théâtre Tremplin présente cette série de cris du cœur, toujours d’actualité, trois semaines à la suite de la réélection de Doug Ford. Micheal Lemire assure la mise en scène de 25 poèmes de ce recueil qui en compte 37.
Bien des choses se sont produites depuis ce « jeudi noir » de 2018. Le metteur en scène franco-ontarien, récemment diplômé de la Laurentian University souligne notamment les coupures de 2021 sur les 70 programmes francophones de l’université sudburoise, dont ceux de théâtre et de littérature française. Sa révolte, conjuguée à celle d’auteurs.trices, est palpable sur scène.
Comment se fait-il que ce cri de solidarité n’ait pas été réciproqué par la présence du public? Pas la moitié de la salle de la Nouvelle Scène Gilles Desjardins était remplie, pour le soir de première de ce texte qui est pourtant historiquement d’une grande importance.
Il est impossible d’entamer une critique sur la culture, sans d’abord ici critiquer la décevante implication du public. Tout ce qui accompagnait la création de cette pièce était synonyme de courage, de persévérance, mais aussi de difficulté; au-delà de la résistance perpétuelle, voire épuisante, face à une province aux discours minimisant la francophonie, rappelons-nous que deux années de pandémie dévastatrices sont venues affaiblir l’une des plus importantes armes face à l’assimilation : la culture. Comment se fait-il que le public ne se précipite pas au théâtre? Le virus conjugué avec un gouvernement conservateur s’est-il emparé du feu qui habite la communauté?
Ce que j’ai visionné hier était une pièce qui criait dans le vide des mots à couper le souffle. Des mots qui, même venus d’un recueil de poésie, avaient leur place dans la bouche de huit actreurs.trices eux.elles aussi concerné.e.s par la cause dénoncée. Ses paroles étaient ponctuées d’un guitariste acoustique accompagnant parfois maladroitement le texte, mais toujours dans des objectifs clairs; varier le ton de la parole, puis parfois même l’interrompre. Car la francophonie, en Ontario, vient avec ses différents sous-enjeux et avec une diversité à même celle-ci.
Le manque d’écoute occasionnel entre les acteurs puis l’environnement sonore et visuel n’a rien de particulièrement choquant; après tout, c’est ce que les Franco-Ontariens ont dû endurer dans les dernières années, non? D’ailleurs, c’est ce que les personnages tentent tous de faire entendre à un à part, symbolisant Doug Ford. Vêtu d’un costume de constructeur, ce dernier vend ses grandes ambitions de construction… ou de déconstruction? Telle est la question.
Les Poèmes de la résistance revisite la palette d’émotions à laquelle les Franco-Ontariens doivent et devront faire face, vis-à-vis leur langue considérée comme un mouvement de résistance par sa simple existence. Une palette aussi colorée et courageuse que l’arc-en-ciel covidien qui trône sur scène, construit à partir de nouilles anti-noyade. La culture d’ici est-elle en train de se noyer? Le feu, s’est-il trop fait mouiller? Je préfère ne pas y croire. Retournons au théâtre afin de ne pas se faire assimiler. Permettons à la culture d’enfin se relever, après deux ans de coma.